Historique du jumelage

(Ecrit et traduit par Eduard Reinbold en février 2003 d’après le récit d’Anton Lunzner.)

C’est en 1940 que 14 Français, prisonniers de guerre, ont été envoyés à Nordendorf pour être affectés dans les différentes fermes du village. Celui-ci comptait environ 640 habitants en ce temps-là. L’absence d’ouvriers agricoles était préoccupante. Pour pallier un peu ce manque, on a obligé les prisonniers de guerre à travailler dans les fermes ou dans les usines des environs. Il était évident qu’ils ne recevaient pas de salaire. A cette époque, le travail agricole était physiquement très fatigant. Cela pouvait-il bien se passer dans ces conditions-là ?

Cela n’était sûrement pas simple ! De chaque côté, la propagande de guerre avait créé des idées préconçues sur l’adversaire qui propageaient la peur et la méfiance. Anton Lunzner, un jeune Allemand, âgé de 15 ans à l’époque, était employé comme ouvrier agricole à la ferme de Ludwig Fuchsberger. Un jour, Karl Fuchsberger, le frère du propriétaire, était parti avec trois Français dans les champs pour finir des travaux. Anton était convaincu de ne jamais le revoir vivant, car il pensait que les Français le tueraient. Il était très étonné de les voir revenir tout à fait paisibles. Au début, les habitants de Nordendorf montraient beaucoup de réserve et précaution envers les prisonniers de guerre.

Les trois Français à la ferme de Ludwig Fuchsberger étaient Pierre Bourcelot, André Lessertois et Marcel Guyot. Tous les trois étaient originaires de Biesles. Et ce sont eux qui, 20 ans plus tard, ont contribué en grande partie à construire le jumelage entre les deux communes. En 1942, André Lessertois et Marcel Guyot ont été envoyés à Augsbourg pour y travailler comme métallurgistes. Pierre Bourcelot et d’autres sont restés à Nordendorf jusqu’à la fin de la guerre.

Après le travail quotidien, tous les prisonniers étaient obligés de retourner dans un dortoir commun chez « Guggenberger » (l’ancienne brasserie, aujourd’hui le restaurant Miller) où ils devaient passer la nuit dans une salle destinée au jeu de quilles. Au début, un soldat allemand du « Volkssturm » faisait le guet, relayé plus tard par un habitant ancien de Nordendorf. Mais évidemment, après un certain temps, les prisonniers n’étaient plus surveillés d’une manière aussi stricte. Anton Lunzner raconte que M. Guggenberger a même déposé la clé de la salle sur le rebord de la fenêtre. Les habitants de Nordendorf l’acceptaient car il n’y a jamais eu de plaintes !

Au fil du temps, la méfiance mutuelle a diminué. Au contraire, lentement on a découvert le plaisir de se mettre ensemble tous les dimanches à la ferme de Ludwig Fuchsberger, pour boire un coup, pour faire de la musique, pour chanter en commun et finalement aussi pour essayer de se parler. Cela n’était sûrement pas très facile. Mais entre-temps on a appris, l’un de l’autre, certaines expressions, des mots et des phrases qu’on utilisait au quotidien. A leur arrivée à Nordendorf, les Français ont reçu un cahier avec les expressions les plus importantes et indispensables au travail sur la ferme. Ils étaient forcés de les apprendre par cœur aussi vite que possible. Mais inversement aussi, les Allemands qui travaillaient avec eux, étaient curieux de connaître cette langue étrangère et ont appris de leur côté des mots français comme « le bœuf », « la vache », « une mademoiselle » et bien d’autres. Ils trouvaient du plaisir à les utiliser. Cela allait si loin qu’à la fin le jeune Lunzner a compris que les Français se moquaient parfois du repas quand il n’était pas à leur goût. Mais il gardait discrètement le silence auprès de la cuisinière quand elle voulait savoir ce qu’ils avaient dit.

De cette manière se développaient de bonnes relations entre les Français et les Allemands : on dirait presque le début d’une amitié. Bientôt les « prisonniers » ont eu la permission de recevoir des paquets remplis de gourmandises de chez eux. Souvent ils les échangeaient contre des cigarettes ou de la nourriture ou faisaient goûter les Allemands. Ainsi, après quelque temps, les Allemands, eux aussi se sont montrés généreux. Les Français envoyaient souvent le jeune Lunzner acheter des cigarettes à l’épicerie « Adler » (devenu « Spicker » plus tard) : la vendeuse lui donnait toujours quelques paquets en plus.

Pierre Bourcelot était très aimé par les habitants de Nordendorf comme tous les autres « prisonniers ». Dans la mesure où tous les jeunes hommes allemands étaient partis à la guerre, entre autres aussi Anton Lunzner qui, ironie du sort, avait accompli son service militaire en France, on avait grand besoin des prisonniers pour réaliser différents travaux. De plus, on éprouvait maintenant de la confiance envers les Français et personne ne les regardait plus comme des ennemis dont il fallait se méfier.

Comme ils recevaient maintenant aussi une rémunération pour leurs travaux, ils ne vivaient pas trop mal.

A la fin de la guerre en 1945, les Français ont donné une fête d’adieux dans la salle de la boulangerie « Lemmermeier » avant qu’ils ne partent.

20 ans plus tard, c’était le jour de la Saint Pierre et Saint Paul, une voiture s’est arrêtée devant la maison d’Anton Lunzner et un homme étranger s’est approché. A ce moment-là, Anton Lunzner a reconnu son « ancien ami » Pierre Bourcelot et c’est avec une grande joie qu’ils se sont embrassés. Pierre Bourcelot avait eu l’idée de retourner à Nordendorf d’abord pour montrer à sa femme et ses deux fils le lieu où il avait passé les années de guerre et ensuite avec l’espoir de revoir son ancien cercle d‘amis. En arrivant au bourg, il a eu d’abord l’intention de dire bonjour au propriétaire de « sa ferme », là où il avait travaillé : Ludwig Fuchsberger. Avec l’intention de le surprendre, il est entré dans la cuisine du bâtiment comme il l’avait toujours fait autrefois et il a pris place comme il avait coutume de le faire. Mais à sa grande surprise, ce n’était pas Ludwig qui a ouvert la porte, mais son successeur qui s’appelait Schmid. Alors, il y a eu un peu de confusion mais après quelques instants tous les deux ont compris et M. Schmid a accompagné la famille Bourcelot chez Ludwig Fuchsberger. Quelle joie après 20 ans ! Pierre et sa femme y ont passé deux nuits alors que leurs fils restaient chez la famille Lunzner. Et évidemment les Bourcelot ont invité leurs hôtes à venir à Biesles.

Un an plus tard, en 1966, Anton Lunzner et son frère Karl avec leurs épouses respectives ont entrepris le premier voyage à Biesles. Naturellement ils étaient très excités mais aussi curieux. Comment seraient-ils accueillis, comment se comporteraient les autres habitants à la vue des Allemands qu’on ne connaissait jusqu’à maintenant que munis d’un fusil et d’un casque d’acier ? Serait-il possible de rencontrer aussi les deux autres « prisonniers » André et Marcel ?

Mais d’abord ils avaient l’intention de trouver Pierre Bourcelot. Ils ne savaient pas où il habitait. Pour s’informer, ils sont entrés au «Café du Centre» de la famille Chamarande. Mais évidemment tout le village était déjà au courant de l’arrivée des Allemands car dix minutes plus tard, Pierre est entré pour embrasser ses hôtes. Les retrouvailles ont été fêtées pendant trois jours, ensemble avec André, Marcel et leurs familles.

Les barrières étaient brisées ! Et à partir de ce moment-là, ce sont surtout les Français qui ont pris l’initiative. Un an plus tard, deux jeunes hommes, Guy Lessertois, le fils d’André, et Dominique Gonon, le fils du futur premier président du comité de jumelage, sont venus à Nordendorf pour y rester pendant quelques mois chez la famille Lunzner. Ils étaient venus d’abord pour approfondir leurs connaissances de la langue allemande, pour mieux connaître la région et le village et pour étudier un peu la mentalité et la culture allemandes. Pour gagner un peu d’argent, ils ont travaillé dans des usines à Augsbourg.

En 1969, un groupe de 15 adolescents avec leur prêtre M. Toulouse ont fait du camping sur le terrain d'Anton Lunzner nommé « Le Toni-Alm » pendant deux semaines. Les habitants de Nordendorf sont devenus, eux aussi, de plus en plus curieux et ont commencé à surmonter leur réticence compréhensible.

28 personnes se sont rendues à Biesles en 1970, pour répondre à l’invitation du prêtre Toulouse. Même le maire de Nordendorf, Wilhelm Kottmair a participé à ce voyage. Pour quelques habitants, c’était le premier séjour à l’étranger. La visite a duré deux jours. On s’est rapproché et on a mieux fait connaissance et c’est surtout du côté français qu’a émergé l’idée d’un jumelage au niveau communal.

Les Bieslois et les habitants de Nordendorf ont bien senti que le temps était venu de surmonter les peines et les souffrances que la guerre avait apportées dans tant de familles, de supprimer progressivement les préjugés des deux côtés et surtout de faire tous les efforts pour consolider et approfondir les relations entre les deux pays. Le fondement de ce jumelage était la conviction profonde et l’appel à tous les habitants des deux villages de contribuer avec toutes leurs forces à éviter toute querelle belliciste entre les deux peuples à l’avenir. C’est sur cette base que les Français et les Allemands ont désiré mieux se connaître et mieux se comprendre. On était d’avis que cela fonctionnerait le mieux par le biais des familles.

Deux années ont passé. Différents délégations et groupes ont circulé d’un village à l’autre pour préparer le traité et la signature du jumelage entre Biesles et Nordendorf.

La date de la signature a été fixée à 1973, dix ans après la signature du « Traité de l’Elysée ». Les Bieslois ont désiré que la fête se déroulât à Biesles. Le 15 juillet 1973 lors d’une cérémonie officielle, les deux maires Daniel Conversat et Anton Frey, accompagnés par les présidents des comités de jumelage Paul Gonon et Anton Lunzner, ont apposé leurs signatures au-dessous du texte du traité :


Le Serment de Jumelage

Nous, Anton Frey, Maire de Nordendorf, République Fédérale D’Allemagne,

et

Daniel Conversat, Maire de Biesles, France

librement désignés par le suffrage de nos concitoyens, certains de répondre aux aspirations profondes et aux besoins réels de nos populations, en pleine conscience des liens d’amitié qui se sont tissés au fil des années entre les habitants de nos communes, sachant que la civilisation occidentale a trouvé son berceau dans nos anciennes communes et que l’esprit de liberté s’est d’abord inscrit dans les « franchises ». Qu’elles surent conquérir, considérant que l’œuvre de l’Histoire doit se poursuivre dans un monde élargi, mais que ce monde ne sera vraiment humain que dans la mesure où les hommes vivront libres dans des cités libres,

 En ce jour, nous prenons l’engagement solennel
-de conjuguer nos efforts pour concourir à l’unité de l’Europe
-de maintenir des liens permanents entre les municipalités de nos communes
-de favoriser en tous domaines les échanges entre leurs habitants pour développer, par une meilleure compréhension mutuelle, le sentiment vivant de la fraternité européenne.

Faite à Biesles, le 15 juillet 1973
Signé : Anton Frey et Daniel Conversat  


Dans l’année suivante, en 1974, les deux directeurs d’école Alain Monperrus et Eduard Reinbold ont signé, ensemble avec les maires Daniel Conversat et Anton Frey, le jumelage entre les deux écoles. La fête s’est déroulée à Nordendorf le 16 juin en présence du Consul Général français de Munich et Mme Rist, responsable des écoles au gouvernement de la Souabe à Augsbourg :


Jumelage des Ecoles de Biesles et Nordendorf

Suite au Serment de Fraternité de Jumelage qui a été signé le 15 Juillet 1973 les Partenaires, c’est-à-dire: les communes de Biesles et de Nordendorf reconnaissent la nécessité de poursuivre leur travail commun sur une base étendue et en toute liberté. Cette mission ne pourra être accomplie intégralement et pour toujours qu’à condition que notre Jeunesse conçoive son devoir permanent dans cette Fraternisation.
Nous, les soussignés, Représentants des Communes et des Ecoles de Biesles et de Nordendorf

Nous, nous engageons solennellement ce jour de mettre tout en œuvre pour éduquer les jeunes générations afin qu’ils deviennent des hommes libres qui, eux, formeront l’avenir dans une entente et une franchise mutuelles, tout en liant l’ancien avec des idées et des impulsions nouvelles.

Faite à Nordendorf, le 16 juin 1974
Signé : Alain Monperrus, Eduard Reinbold, Daniel Conversat et Anton Frey